Chère Sholeh, aujourd’hui j’ai appris que c’est à mon tour de faire face à Qisas (la loi du talion dans le système judiciaire iranien)
Le monde m’a permis de vivre pendant 19 ans.... Mon corps n’a pas été jeté au loin, mais dans la tombe de la prison d’Evin et ses cellules d’isolement, et à présent la prison de Shahr-e Ray, qui ressemble aussi à une tombe. Mais tu dois céder au destin. Ne te plains pas. Tu sais mieux que moi que la mort n’est pas la fin de la vie.
Tu m’as appris que l’on vient au monde pour profiter d’une expérience et apprendre une leçon, et qu’avec chaque naissance, une responsabilité est placée sur notre épaule. J’ai appris que parfois l’on doit se battre...
Tu m’as appris que, puisque nous allons à l’école, nous devons nous comporter en dame face aux querelles et aux plaintes. Etre présentée à la barre m’a fait passer pour une meurtrière de sang-froid et une criminelle sans pitié. Je n’ai pas versé une larme. Je n’ai pas supplié. Je n’ai pas pleuré toutes les larmes de mon corps car je faisais confiance à la loi.
Mais j’été accusée d’être indifférente au crime. Tu vois, je ne tuais même pas les moustiques et je prenais les cafards par les antennes pour les jeter un peu plus loin. Désormais je suis devenue une meurtrière préméditée. Mon traitement des animaux a été interprété comme ayant un penchant masculin et le juge n’a même pas pris la peine de regarder les faits et de voir qu’au moment de l’incident j’avais de longs ongles vernis...C’était si optimiste d’attendre de la justice de la part des juges !
Chère Sholeh, ne pleure pas pour ce que tu entends. Le premier jour, au poste de police, quand un vieil agent non marié m’a brutalisé à cause de mes ongles, j’ai compris que l’on ne recherche pas la beauté dans cette ère. La beauté des apparences, la beauté des pensées et des souhaits, une belle écriture, la beauté des yeux et de la vision, et même la beauté d’une douce voix.
Ma chère mère, mon idéologie a changé et tu n’en es pas responsable. Ma lettre est interminable et je l’ai donnée à quelqu’un pour que, lorsque je serai exécutée sans ta présence et sans ton savoir, elle te sera donnée. Je te laisse ce matériel écrit en héritage.
Cependant, avant ma mort, je veux quelque chose de toi, que tu dois me fournir avec toute ta force, quelle que soit la manière dont tu l’obtiens. En fait, c’est la seule chose que je veux de ce monde, de ce pays et de toi. Je sais que tu as besoin de temps pour cela.
Je vais donc te raconter une partie de mon vœu dès maintenant. S’il te plaît, ne pleure pas et écoute. Je veux que tu ailles au tribunal et que tu leur fasses part de ma requête,,. Pour cette chose seulement, je t’autorise à supplier, bien que je t’ai dit à maintes reprises de ne pas supplier de me sauver de l’exécution.
Ma tendre mère, chère Sholeh, qui m’est plus chère que ma propre vie, je ne veux pas pourrir sous terre. Je ne veux pas que mes yeux ou mon jeune cœur deviennent poussière. Tu dois les supplier pour que, dès que je serai pendue, mon cœur, mes reins, mes yeux, mes os et tout ce qui peut être transplanté soit retiré de mon corps et donné à quelqu’un qui en a besoin. Je ne veux pas que le receveur connaisse mon nom, ni qu’il m’achète des fleurs ou même qu’il prie pour moi.
Je te le dis depuis le plus profond de mon cœur : je ne veux pas d’une tombe où tu viendrais pleurer et souffrir. Je ne veux pas que tu portes du noir pour moi. Fais de ton mieux pour oublier mes jours difficiles. Donne-moi au vent, afin qu’il m’emporte.
Le monde ne nous a pas aimé. Il n’a pas voulu mon destin. Et à présent, je lui cède et j’embrasse la mort. Car dans la cour de Dieu, j’accuserai l’inspecteur Shamlou, j’accuserai le juge, et les juges de la Cour Suprême du pays qui m’ont tabassée quand j’étais éveillée et n’ont eu cesse de me harceler.
Ma chère et tendre Sholeh, dans l’autre monde c’est toi et moi qui sommes les accusatrices et les autres qui sont les accusés. Nous verrons ce que Dieu désire. Je voulais t’embrasser jusqu’à ce que je meure. Je t’aime.
Voilà la lettre d'adieu à sa mère de la jeune iranienne Reyhaneh Jabbari, pendue samedi dernier, pour avoir poignardé son violeur, un agent de renseignement. Ou plutôt pour avoir avoué l'avoir fait, et ne pas avoir dénoncé l'homme qui l'avait sauvée. Sa mère Sholeh a proposé d'être pendue à sa place.
Ainsi dans un pays de vraie injustice, où s'applique l'effroyable loi du talion inventée par la Bible, voici qu'apparaît le visage lumineux de la vraie résistance. Après Malala la pakistanaise. Sakineh, etc...Souvent féminine, puisque l'oppression (pas celle que dénoncent nos dérisoires "zadistes") est habituellement machiste, que ce soit celle d'état ou de gangs du genre Boko Haram.
La vraie oppression, nous l'avons connue sous l'occupation nazie et le régime de Pétain, n'en déplaise à MM. Le Pen ou Zemmour. Aragon a légué la lettre à sa femme de l'un des douze "métèques", résistants pendus par les allemands
" ...Marie toi sois heureuse et pense à moi souvent " Toi qui va demeurer dans la beauté des choses..."
L'héroïsme se mesurerait-il à l'aune de la poésie?