L'inconnu de Tian 'Anmen

14 Juillet 1789: 200 ans avant, quelle différence avec Tian'Anmen?

Un mouvement a réussi, l'autre a échoué. Pourquoi?

On peut rapprocher notre Révolution et Tian'Anmen pour les raisons objectives du contexte économique et psychologique: Disette, crise financière, provocation de la corruption et de l'étalage de richesses, frustration des classes moyennes. Mais en France, un siècle de "lumières" avait préparé les esprits, alors que les intellectuels en Chine avaient été réduits par Mao. C'est le premier indice montrant que la différence réside dans le pouvoir lui même.

- En France, le pouvoir n'était pas légitime, même s'il s'y essayait, à incarner les réformes qui aboutiraient un jour à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En Chine, on pouvait l'attendre des héritiers de Zhou Enlai, même si le plus réformiste d'entre eux, Hu Yaobang venait de mourir.

- Louis XVI était pourtant prêt à céder sur de nombreux plans. Deng Xiaoping n'avait pas cette faiblesse. Il avait un projet fort, celui de faire de la Chine la premiére économie du monde.

- Autour du Roi, les Grands ne tenaient pas seulement à leurs privilèges . C'était aussi le cas de l'oligarchie communiste chinoise. Mais celle-ci avait davantage le sens du bien national, de même que les mandarins des anciens temps. Louis XVI ne pouvait pas compter sur le civisme de ses aristocrates. Pas non plus sur son armée de mercenaires ou d'enrôlés de force. Alors que l'Armée Populaire de Libération, fidèle à son chef historique Deng Xiaoping, était une des composantes de la direction chinoise.

Il reste que face à ce pouvoir faible, le haut niveau et, au début du moins, la cohérence des révolutionnaires français, formés par des années de clubs et d'effervescence, n'avaient pas d'équivalent chez les manifestants de Tian'Anmen, qui ressemblaient plus aux "spontanéistes" de Mai 68 à Paris, et qui comme eux, ont échoué.

Mais qu'est-ce qu'une révolution? Il est des victoires à la Pyrrhus, qui débouchent sur d'étranges périodes, même si elles restent mythiques. Tian'Anmen, cependant, comme Mai 68, et probablement comme les évènements récents de Téhéran, si réprimés fussent-ils, marque incontestablement l'évolution durable des sociétés où ces évènements se sont produits.

La révolte des yoghurts?

Ne rions pas trop vite. Certes, elle a fourché, la langue de notre Ministre des Affaires étrangères, personnalité politique préférée des français, roi Arthur d'un nouvel ordre de chevalerie, les "french doctors". Mais ce n'est que le symbole de notre propre désintérêt pour tout ce qui dépasse les frontières de l'hexagone, de notre indifférence pout l'Histoire-Géo dès l'école...

Comment dès lors s'étonner si le touriste français est le plus mal noté au monde?  Pour nous émouvoir de l'extérieur, il faut que le drame explose, il faut l'urgence, le tsunami, l'explosion du drame  politique qui nous rappelle notre Révolution. Alors, l'"Inconnu de Tian'Anmen" rejoint sous l'Arc de Triomphe notre soldat inconnu. Nous devrions profiter de ces moments d'émotion pour décider de nous changer.

C'était il y a cinquante ans

Les anniversaires de l'Histoire sont un genre de rituels qui, peut-être, permettent de mieux décrypter le présent. Pour le sage, le passé éclaire le présent.

1959 nous a légué une autre image culte, le visage de Che Guevara saisi par le photographe Alberto Korda. Une figure de "daimôn" romantique comme celle de l'Inconnu de Tian'Anmen. Elle cristallise l'impensable, la victoire de David contre Goliath, une épine durable dans la chair de la puissance américaine. Que la bienveillance de l'homme et du régime n'aie pas répondu  tout à fait aux espoirs de la libération, les cubains le savent depuis longtemps, mais le souffle romantique persiste. Tous les gouvernements du monde devraient comprendre que faute d'être aimés, ils disparaitront. Khamenei comme Ceaucescu ou Batista.

1959 a justement installé chez nous la synthèse de l'esprit et de la toge. André Malraux est appelé au nouveau Ministère de la Culture par le Général de Gaulle dès son accession à la Présidence. L'homme de "La condition humaine", qui a conté le massacre des communistes chinois de Shanghai, lâchés par le Komintern. "Le sang d'un conjuré en fait renaître mille" dit le poète. En effet, il y eut la "Longue marche", et la République populaire au bout, proclamée dans la liesse...sur la Place Tian'Anmen. Et puis...

1959, c'est le début de la fin de l'Algérie française. De Gaulle, encore une fois visionnaire, propose l'auto-détermination. La France était déchirée, elle avait installé depuis un siècle sur l'autre bord de la Méditerranée tant des siens, comme Pékin les Hans au Tibet et au Xinjiang. Les gouvernants français auraient du depuis longtemps honorer les algériens comme citoyens à part entière, et c'est maintenant ce que la Chine doit faire avec les ouïghours.

La grande révolution de 1959, c'est la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, signée par 192 états membres de l'ONU (Pas les Etats Unis...Yes, Mr. Président, now, you can!). Grande, parcequ'elle change la nature de l'Homme. Elle ressuscite un philosophe vieux de vingt cinq siècles: Confucius. Que le pouvoir chinois, qui l'a réhabilité, le relise sans cesse!  

Urumqi n'est pas Tian'Anmen

Beaucoup de victimes au Xinjiang, région autonome à l'Ouest de la Chine, à majorité musulmane. Des émeutes ont une nouvelle fois éclaté, et ont été réprimées durement, comme d'habitude.

Pourtant, il faut éviter l'amalgame avec Tian'Anmen, comme avec Téhéran. Il ne s'agit pas ici de lutte pour la démocratisation, on pourrait dire de "révolte citoyenne". Ce qui agite le Xinghai et l'ethnie ouïghour, c'est le séparatisme. Cette revendication est-elle fondée historiquement? Comme pour le Tibet, la vérité est relative. Depuis plus de deux millénaires, la Chine a tenté de protéger son "milieu" en occupant les marches de l'ouest. Les périodes d'indépendance ont toujours correspondu à un déclin des dynasties chinoises, Tang au 8° siècle, Yuan (mongole) au 13°, Qing (mandchoue) au 19°. Comme au Tibet, c'est la république de Mao qui a rétabli sa possession. Aucun empire, aucune nation au monde ne considère sereinement les vélléités de séparatisme chez lui. Souvenons nous du traumatisme de l'Algérie, qui n'était française que depuis un siècle. Et comment traiterions nous un soulèvement en Corse ou aux Antilles?

La question du terrorisme vient se greffer sur le problème des droits politiques. La région, contigue au Pakistan et à l'Afghanistan, est travaillée par la propagande islamiste, qui verrait bien se créer dans ces parages un califat semi-nomade. C'est ce type de justification que, comme Moscou en Tchétchénie, Pékin ne manquera pas de fournir au questionnement international.

Tout empire qui ne veut pas éclater doit cependant se souvenir qu'il doit intégrer tous ses citoyens, politiquement, économiquement, psychologiquement. Ce qui n'est pas le cas des ouïghours, dont le ressenti est celui de parias.

Qu'en pensez vous? Merci de vos commentaires.

Tian'Anmen: Le modèle reste vivant

Cette même année 1989, l'Inconnu de Tian'Anmen donnait aux berlinois le courage de franchir le mur, et aux roumains celui de renverser la dictature ubuesque des époux Ceaucescu .

Ce joli mois de Juin qui voit resurgir, avec son vingtième anniversaire, l'image mythique de l'Inconnu de Tian'Anmen, voit aussi flamboyer le magnifique courage de la rue, à Téhéran. Cette foule ne soutient pas une faction. Elle est entrée dans la transe dyonisiaque de la liberté. Prions qu'elle ne subisse pas l'hécatombe à laquelle tous les pouvoirs aveugles ont voué la jeunesse. Que le sens de la négociation, familière à ce peuple , l'emporte.

Mais la puissance romantique de l'image de l'Inconnu,  longtemps continuera de saper les tentations de répression. Pour approcher la vérité de cette force et du cadre historique qui l'a vue naître, il m'a semblé que la fable était plus intuitive que toutes les analyses. Aussi ai-je imaginé, sur la base de faits parfaitement authentiques, et de témoignages passionnants, l'aventure du héros, dans le violent tourbillon de l'Histoire contemporaine chinoise.

Certes nous sommes éloignés de ces évènements. La mémoire des étudiants fusillés du Mont Valérien est lointaine, il n' y avait là ni photographe, ni un Goya pour jeter le cri du Dos de Mayo. Mais l'image culte de l'Inconnu de Tian'Anmen est bien réelle, elle nous parle du Lieutenant Drago face au désert des tartares, de Laurent Fignon face à son cancer, de nous-mêmes face à notre destin.

Place Tian'Anmen, capitale de la magie

1989, vingtième anniversaire des évènements de Tian'Anmen, marque aussi le soixantième anniversaire de la proclamation de la République populaire par Mao Zedong sur la Place. Le chef de guerre, le penseur politique, renouait alors avec la grande tradition chamanique. Sa puissance de medium lui avait permis de galvaniser ses troupes et les paysans des régions traversées pendant les terribles épreuves de la Longue Marche. Son magnétisme avait triomphé de la force institutionnelle et de l'armement lourd de Chang Kaï Shek.

Certes, le medium ne mettait pas la Terre en relation avec le Ciel. Il remplaçait le Ciel par le concept des "masses", dont il était l'incarnation. La réussite de cette substitution magique devait l'entrainer à la priorité permanente d'un romantisme révolutionnaire, l'action par la mobilisation des masses, et en conséquence, l'exclusion de toutes les "catégories puantes", propriétaites, élites et experts. Il ordonnait même le "bombardement des états-majors", ses propres adjoints, lors de la grande messe dite sur la même place Tian'Anmen pour le lancement de la "Grande Révolution Culturelle Prolétarienne", en Août 1966. Deux millions de jeunes écoliers participaient à cette catharsis, essaimaient dans toute la Chine, et engageaient sous hypnose une alchimie sociale chaotique.

Les funérailles sont l'occasion d'autres grands rituels chamaniques. Deux fois, la Place Tian'Anmen en a été inondée du sang des victimes expiatoires. On a déja longuement commenté Juin 1989. Tout avait commencé en Avril, avec l'hommage pour la disparition de Hu Yaobang, ancien Secrétaire général du Parti, âme des réformes, à qui la population faisait confiance. En Avril 1976, c'étaient les funérailles de Zhou Enlai qui avaient tourné à l'émeute et au massacre sur la même Place. Zhou était l'espoir des "Quatre modernisations" dont le peuple avait tellement besoin.

Et la même année, la Chine connaissait le terrible tremblement de terre  de Tangshan, non loin de Pékin. 500 000 victimes probablement. Le dragon protecteur de l'empire du Milieu se révoltait et secouait l'écorce terrestre. Mao savait qu'il perdait le "mandat du Ciel", car il n'avait plus la confiance des masses. Sa mort, en Septembre, fut l'occasion d'un nouveau culte à Tian'Anmen, où fut prononcé son éloge funèbre, et posée la première pierre de son mausolée. Depuis, un milliard de chinois et des millions de visiteurs étrangers défilent pénétrés  devant sa momie.

Extrait de "L'Inconnu de Tian'Anmen":

Wang me fait asseoir au salon. Des peintures d’exorcisme sur les murs représentent Zhong Kui, le lettré si laid qu’il faisait fuir les fantômes. Il est naturellement le protecteur des écrivains, proies de leurs propres démons, et de l’aveuglement des autorités. Sur les consoles s’alignent les statuettes de bois des héros du théâtre de Nuo : Guan Yu, œil farouche dans un visage pourpre, grande barbe cascadant sur la large poitrine.  Erlang au troisième oeil, fils du Roi-dragon, qui bien avant Yu le Grand, luttait contre l’hydre de l’inondation…Et là, dans une vitrine, en porcelaine « blanc de Chine », l’effigie de Mao, bras levé doigts ouverts : bénit-il le peuple, ou porte- t’il la foudre ?

         -    C’est Leigong, n’est-ce pas ?

      -    Tu l’as deviné en voyant au dessus le masque du dieu du tonnerre, avec son bec de coq. Oui, je crois que Mao a été capable de créer un déluge et d’en sauver son peuple.

          -    Médecin, mais assassin ?

          -    N’y aurait-il que dix pour cent de bon dans Mao, que je lui garderais ma foi !

 

Le théâtre masqué de Nuo, survivance d'un trés ancien culte chamanique, est encore pratiqué dans des contrées difficilement accessibles, montagneuses au sud du Yang Zi Kiang. Il était jusqu'au XVIII°siècle présent dans toutes les provinces chinoises, mais le souvenir en a été effacé par le troubles historiques qu'a connu la Chine dès le XIX° siècle, et surtout par les destructions et persécutions de la Révolution Culturelle. Découvrez cette incroyable culture archaïque dans le livre d'art que j'ai publié en 2007 chez Actes Sud: "Le Masque de la Chine".

 

 

 

 

J+7; Tian'Anmen, si je t'oublie...

Chronos mangeait les pierres, le Temps peut tout effacer. La Direction centrale d'un Parti unique, elle-même, n'a que peu de pouvoir, comparée au Temps. Plus qu'ailleurs, en Chine, on le sait, que reste-t'il de la dynastie Xia, du 3° millénaire avant J.C, sinon la légende. Tian'Anmen est une légende. J'ai déja comparé le massacre au sacrifice qui permet de résoudre la crise, selon René Girard. La masse des manifestants en bouc émissaire qui saigne, qui s'exile, et sur laquelle se fonde la cité de l'avenir. Mais cette fois, un photographe a saisi l'image de la victime: Il nous reste l'Inconnu de Tian'Anmen. J'ai dit aussi que Deng Xiaoping, le bourreau, était la dernière victime. La dernière? Peut être pas, pensons au Premier ministre d'aujourd'hui, Wen Jiabao, muré dans le silence, alors qu'il était allé à Tian'Anmen, avec Zhao Ziyang, parler aux grévistes de la faim. Et d'ailleurs, que sont-ils devenus, tous ces jeunes gens de 1989, toute une génération solidaire ne s'est pas envolée! Ils sont aujourd'hui le moteur surpuissant de la Chine, ces yuppies! Et s'ils ne parlent pas, s'ils ne regardent pas par dessus leur épaule, la raison en est peut être plus simple qu'on ne croit: Après plusieurs révolutions, aprés avoir pourchassé les "quatre vieilleries", les chinois ont toujours peur des fantômes. Un sondage assez récent donne 85% de la population pour craindre les fantômes.

Alors, aprés avoir dénoué le mythe de Tian'Anmen, je poursuivrai bientôt sur le terrain de la magie. Et sur le rôle du plus étonnant chaman de l'Histoire contemporaine chinoise, le Président Mao Zedong.

Tian'Anmen: pas fini

La Place  est nettoyée, mais les combats se sont déplacés, dans Pékin, et dans d'autres grandes villes. L'armée est incertaine. Il faudra toute l'autorité de Deng Xiaoping, ancien chef de l'Armée Populaire de Libération, pour éviter l'enchainement vers la guerre civile. Et pourtant, bientôt Deng sera lui aussi victime des purges, menacé (c'est encore l'Armée qui protègera sa vie), et exilé. Les orthodoxes, staliniens et même les maoïstes de retour, vont siffler la fin de la récréation. Finies les réformes, finie l'ouverture, oubliée l'idée même de démocratie. Le collectivisme est de retour, pendant une année de grand gel, en attendant que le peuple, soutenu par l'APL, exige le retour de Deng.

Et vous n'allez pas voter?

Jour J! N'oubliez pas Tian'Anmen

Vingt ans après, la vérité est toujours au fonds du puits à Pékin. Le pouvoir joue les autruches, et l'opinion préfère ne pas regarder derrière elle (c'est la leçon d'Eurydice!). Pourtant, elle surfe tout autour du monde, la vérité! A nous de la maintenir vivante, elle gouverne notre propre sagesse: Méfions-nous des apprentis sorciers qui jouent l'ambiguité avec la jeunesse, qui la mobilisent pour servir leur carrière politique. Que la Jeunesse se méfie de la dictature de l'idéologie. Le sage n'a pas d'idée, professait Confucius voici vingt cinq siècles.

L'injustice le dispute à l'horreur, au petit matin du 4 Juillet, sur la Place Tian'Anmen. Le sang macule le pavé, les coeurs sont plus meurtris encore. Depuis douze ans déja, la Chine entière converge vers la démocratie, il ne s'agit pas d'une lubie étudiante. Le désastre est total, les soldats qui viennent de commettre le sacrifice sont eux-mêmes épouvantés. Est-ce cela qui retiendra les chars devant "l'Inconnu de Tian'Anmen"? La vérité est enterrée, mais cette image magique de la dignité reste vivante.

copyright Stuart Franklin-Magnum photo

 

Extrait de "L'Inconnu de Tian'anmen", roman historique à paraitre ce mois ci (éd. L'Harmattan)

 Soudain, le vacarme qui enflait donne sa pleine puissance au débouché de l’avenue Chang’An. Vrombissement assourdissant d’un bataillon entier de chars, cohorte de démons griffant le béton de la Placesous les chenilles qui virent pour un positionnement de front sur toute la largeur de Tian’Anmen : La stupeur gagne les rangs des manifestants, qui refluent vers le sud. Jiang est terrifiée, An est repliée sur sa douleur et son angoisse pour l’enfant. Autour d’eux, le vide s’est fait. Le front de chars reste immobile, sous tension, comme un rang de monstrueuses montures au départ d’une course. Le commandement retient ses blindés en donnant un délai raisonnable pour l’évacuation totale de la Place.

Mais, derrière le mausolée de Mao, comme si le vieil empereur pouvait encore lever la main et arrêter le conflit, la masse des manifestants s’est regroupée, et tient bon.

Une colonne de blindés s’avance en file en grondant, lentement. Wang aussi s’est avancé, à leur rencontre. A toucher le char de tête. Il est calme, il ne laissera pas écraser Jiang sous les chenilles des tanks. Le monstre s’arrête. Du haut de sa tourelle, le chef de char lui fait signe de déguerpir. Alors s’impose, dans la mémoire de Wang, l’image flamboyante de Fang Shixiang faisant face aux gardes rouges, à Longtongba. Et avec elle, comme une certitude, l’impérieuse nécessité de sa présence chamanique, à lui, Wang, ici et maintenant, pour jouer la cérémonie magique de cette nuit. Il ne bouge pas. Le char essaie de le contourner, Wang fait quelques pas de côté, il continue de bloquer la progression. Un long moment se passe, dans l’absolu silence de la foule qui l’observe. Ces images feront le tour du monde. Jiang regarde intensément la scène, fascinée.

 

J-1: La nuit s'annonce terrible Place Tian'Anmen

 Extrait du roman historique "L'Inconnu de Tian'Anmen", à paraitre ce mois-ci aux éditions l'Harmattan:

 

Wang est là. Quand il a appris l’instauration de la loi martiale, il a compris que, vingt et un ans après, Mai 89 était un Mai 68 qui tournerait mal. Ici pourtant, les étudiants au départ étaient calmes. Mais leur juste détermination est beaucoup plus dangereuse pour le pouvoir. Pendant qu’en France on prépare le bi-centenaire de la Révolution, à Pékin la Liberté se tient debout : en plein milieu de la Place, les élèves de l’école des Beaux Arts ont sculpté et dressé une réplique de la statue d’Eiffel et Bartholdi, offerte par la Troisième République à l’Amérique et au monde entier. En Mai 68, le marxisme-léninisme était blessé en Occident. Il va ici entrer en agonie.

Wang sait qu’elle est en danger, celle qu’il aime le plus au monde. Il a tout laissé, a embarqué dans un camion, continué en stop, puis à bicyclette, et enfin, il est là. Il va directement à Tian’Anmen, il ne sait pas où trouver Jiang autrement. Il parcourt toute l’immense place, de la Cité interdite jusqu’à la grande Porte « Face au Soleil ». La place la plus vaste de l’univers est noire de monde. Des campements épars abritent des étudiants ensommeillés qui ont veillé toute la nuit. D’autres font le siège sur les marches du Palais de l’Assemblée du Peuple. Il y a foule aussi autour du monument aux héros du Peuple, obélisque plus haut que ceux de l’Egypte. Pendu à la Porte de la Paix Céleste, le gigantesque portrait de Mao a été maculé d’encre. Pour Wang, ce n’est pas un bon présage. Il longe le mausolée du Grand Timonier, admire sa statue de marbre blanc. Mais il ne pourra pas se recueillir devant le corps embaumé, la salle du sarcophage est fermée. Wang est inquiet, il désespère de trouver Jiang dans cette foule, peut être n’est elle-même pas sur la Place?

Il se résout à pousser jusqu’au siège du Gouvernement. S’il peut voir Li Peng, il lui recommandera le sort des deux femmes.

Evidemment, Li Peng n’est pas visible. Un planton dit qu’il faut attendre, il est clair qu’aucun message ne lui est transmis. Nombreux dans la journée sont les visiteurs qui franchissent le sas de son bureau. C’est un va et vient permanent de hauts personnages nerveux, probablement des députés, des ministres, de hauts gradés de l’APL. En fin d’après-midi, Li Peng sort, escorté d’une ordonnance. Il parait très préoccupé, mais il aperçoit Wang.

   -   Que fais-tu ici ? Viens.

Il retourne avec Wang dans son bureau. Wang lui explique la situation. Li le regarde longuement, il a vraiment de l’affection pour ce garçon.

-    Je n’ai pas vu Jiang, je ne sais pas comment la trouver. Je vais donner des instructions, mais ne te fais pas d’illusion, les forces de l’ordre seront trop sollicitées pour avoir en tête un portrait robot.

           Et après un silence :

-    Ecoute, je ne veux pas qu’il t’arrive malheur. Je vais te confier un secret. J’ai fait venir les deux armées de Mongolie. Cette fois, les soldats ne reculeront pas. Ils seront sur place cette nuit.

-    Pourquoi ! Les manifestants ne menacent pas le pouvoir ! Marche avec eux, comme l’aurait fait Mao.

-    Tu vas vite en besogne ! Crois-tu vraiment que Mao aie suivi quiconque ? Ce que tu demandes est impossible. Si l’ordre n’est pas rétabli, c’en est fini du développement que nous avons amorcé. La Chine retournera à ses vieux démons.

-    Il va y avoir un carnage !

-    Non,  pas si les manifestants se dispersent. Je l’espère profondément. Toi, si tu retournes à Tian’Anmen, je sais que tu vas y courir, je te conseille de quitter les lieux avant minuit.

 

 

 

 

 

Photo d'archive de la place Tiananmen (Source Internet. Auteur inconnu)   «