Dans ses mémoires posthumes qui paraissent aujourd'hui ("Prisoner of the State"), Zhao Ziyang désigne Deng Xiaoping comme le responsable de la terrible repression de Tian'Anmen. Mais dans un tel cataclysme, parmi ses acteurs, qui est coupable, qui est innocent? Zhao n'a t'il pas été l'instrument du destin, en allant seul, sans concertation préalable, tenter de raisonner les grévistes de la faim sur la Place Tian'Anmen? Il faut garder en mémoire que Zhao était l'ami et le plus fidèle allié de Deng, que Deng l'avait protégé des fureurs des staliniens, et fait nommer Secrétaire du Parti. Que tous deux, et aussi Li Peng, le premier ministre réputé être le bourreau de la nuit sanglante du 3 au 4 Juin, poursuivaient ensemble la ligne réformatrice. Li Peng était d'ailleurs le fils adoptif et le disciple de Zhou Enlai, le père des "Quatre réformes", menacées par la réaction des staliniens face à l'insurrection.
S'il est un innocent, ô combien emblématique, c'est "L'inconnu de Tian'Anmen", dont j'ai imaginé l'histoire dans mon roman historique, à paraitre en Juin (Ed. L'Harmattan). En avant-première, en voici un extrait.
Deng est malade. Lui, le vieux combattant invulnérable, il est au bord du désespoir. C'est tout l'effort de sa vie qui peut s'annihiler en quelques heures. Il a rêvé, depuis l'échec du "Grand Bond en Avant", d'être celui qui amènerait la Chine au rang de première puissance mondiale.Il a tout sacrifié à cet objectif, mis sa carrière, sa liberté, sa vie sur le tapis de jeu. Et voilà que de jeunes irresponsables peuvent tout gâcher. Ceux-là même qu'il s'est si souvent compromis à défendre. Il doit les réduire à tout prix.
- Le problème, dit Li Peng, c'est que nous sommes incohérents. Il y a trop de division dans notre Direction. Il est inadmissible que Zhao aille faire des avances aux émeutiers, comme il vient de le faire à Tian'Anmen. Nous ne lui avons donné aucun mandat pour faire des promesses.
- Non, assène Deng, c'est plus profond. Les étudiants entrainent la population. Aujourd'hui, une association autonome des ouvriers de Pékin vient d'être annoncée. Si le pouvoir syndical se développe, le Parti n'a plus de raison d'être.
- Zhao a trop montré de signe de faiblesse. Tout le monde s'engouffre dans les failles qu'il a ouvertes. Résultat, un gréviste de la faim m'a accusé de ne pas vouloir écouter le peuple. C'est passé à la télévision. Quelle autorité me reste-t'il?
- Il te restera l'autorité d'avoir raison, quand l'ordre sera rétabli.
- L'ordre, oui, mais comment?
- L'armée, Li, il faut déclarer l'état de siège.
- Il y a déja eu trop de morts. La police a du mal à faire disparaitre les corps, dont la vue excite l'opinion.
- Si nous ne sommes pas fermes, il y en aura beaucoup plus. Nous allons vers la guerre civile. Et derrière, la famine, la désagrégation du pays, peut être l'invasion des impérialistes, la guerre tout court.
- Non, l'A.P.L ne laissera pas la situation dégénérer!
Deng est fatigué.Il préférerait que Li Peng endosse la responsabilité de la répression, qui s'annonce inéluctable. Il veut dissocier son grand mouvement de redressement économique des bavures probables du retour à l'ordre. Il faut négocier. Li Peng est obnubilé par sa rivalité avec Zhao Ziyang. Deng compte sur son ami Zhao, mais il sera temps plus tard de le réhabiliter. Zhao le remerciera alors de lui avoir gardé les mains propres.
- Proclame la loi martiale, et je te donne Zhao. Mais attention, résidence surveillée, pas plus!
Li Peng, grand ingénieur du développement énergétique, songe à la centrale nucléaire de Qinshan, au grand projet de barrage des Trois Gorges, au redémarrage de l'économie lorsque la crise sera enrayée... Il faut tenir. De la stabilité du Pouvoir dépend l'avenir de la Chine. Il a encore du jeu dans sa main, si l'obstacle Zhao s'efface. Il faut qu'il joue encore le mauvais rôle.
- Banco.
Zhao est limogé dans la nuit du 19 Mai, la loi martiale est proclamée. Au matin, les troupes de la garnison de Pékin font mouvement pour dégager Tian'Anmen. La population, scandalisée, leur fait barrage.Nombre de soldats la rejoignent. L'Armée Populaire de Libération reflue...
Deng a-t'il perdu la partie?