Aurais-je dramatisé à l'excès le massacre de Tian'Anmen? Je reviens de Chine, où j'ai questionné mon guide venu de Pékin, avec la plus humble discrétion possible:
- Les jeunes ont ils entendu parler de Tian'Anmen?
- Bien sûr! (Ah bon...). Avec l'ouverture des années 80, les étudiants voulaient importer toutes les idées de l'étranger, mais tout ce qui vient de l'étranger n'est pas forcément bon pour la Chine (ça, c'est juste). Ils ne voulaient plus bouger de la Place, et la population de Pékin les protégeait, car elle ne voulait pas que le rassemblement dégénère en émeute (joli effet de style...C'est bien la version du Pouvoir que j'entends). Lors de sa visite, Gorbatchev voulait voir la Place Tian'Anmen. Ce n'était pas possible, et le Gouvernement a perdu la face. Il a voulu faire évacuer les lieux, mais la police n'a pas bougé, et l'armée non plus. C'était intenable pour l'Etat.
- Alors, Deng Xiaoping a envoyé les divisions mongoles...
- Oui, mais en Occident, on a beaucoup exagéré l'importance de l'évènement.
- Il y a eu quand même 2 000 victimes!
- Les media ont beaucoup exagéré. Je suis venu à vélo Place Tian'Anmen le matin du 4 Juin, je n'ai vu qu'un mort...( et hop, passez muscade!)
Tian'Anmen, la démocratie, malgré les fenêtres de Google, ce n'est pas un souci majeur des jeunes, tant que la Chine n'est pas confrontée à une crise financière qui remettrait en question la prospérité.
Pour le moment, j'ai vu les conséquences du boom chinois à Taïwan, qui souffre de langueur économique, avec des taux de croissance à l'européenne. Les investisseurs n'y investissent plus, ils apportent leurs fonds à la Chine communiste, et s'y installent même pour y dépenser leurs gains. Inversement, les chinois du continent commencent à débarquer en touristes.
A Hong Kong, j'ai descendu vers le front de mer la Canton Road de Kowloon, voici quatre ans encore bordée de boutiquiers, devenue l'Avenue des marques: Hermès, Armani, Vuitton, Gucci, Cartier...dont les bourgeois communistes assurent 50 % du chiffre d'affaires à eux seuls. Ce bout d'Angleterre fascinant dépend maintenant de la prospérité chinoise.
Et de Xiamen, l'ex Amoy, grande ville, grand port, l'une des zones de développement économique spécial créées par Deng Xiaoping, jusqu'à Zhangzhou, point terminal de la Route de la Soie maritime, qui a vu passer Ibn Battuta et Marco Polo, c'est un chantier ininterrompu de cent km d'immeubles et d'usines...A quand la bulle immobilière?
Mais il existe, dans l'arrière pays montagneux une Chine qui n'a pas connu la promotion immobilière, ni Tian'Anmen, ni la Révolution culturelle: C'est le pays Hakka, encore inconnu il y a peu, faute de routes. Les Hakkas sont d'anciens Han, réfugiés dans ces montagnes depuis le 3ème siècle devant les invasions de l'Ouest. Ils se sont protégés dans d'immenses demeures-forteresses élevées en briques de terre crue, liées au riz gluant et sucre de canne, qui peuvent accueillir jusqu' à soixante familles issues du même ancêtre fondateur. Les plus belles, de plan circulaire, à trois ou quatre étages, peuvent avoir sept cents ans.
Pas encore de touristes. Et les gens sont heureux, comme les Miao dont j'évoque le bonheur dans "L'Inconnu de Tian'Anmen". Rafraichissant.
Revenons à notre actualité, en formant le voeu que dans vingt ans, le pouvoir iranien ne puisse pas dire: "Téhéran le 11 Février? Pas grand chose, juste un mort!"