Le dur est têtu: acier des chars, béton armé de barbelés électrifiés, rigidité des idéologies. Abattu à Berlin, il se coule à Jérusalem. Et bientôt, d'El Paso à Ceuta, il s'étale pour séparer le Sud du Nord.
Mais le dur est friable. Témoin ce mur de Berlin qui s'effondre ce 9 Novembre, sous la poussée d'emmurés de longue date. Fondre, c' est le destin des murs. L'Allemagne guerrière savait que notre ligne Maginot n'était qu'un chateau de sable. Et voilà que, punie de son arrogance, un autre empire l'a balafrée d'un rideau de fer. Et voilà que, ce même mur qu'elle a fini par détruire, ses anciennes victimes le remontent en Palestine, rempart de sable que la marée du vivant ne tardera pas à emporter.
La question est de savoir comment accélérer la dissolution du dur. Mieux, de prévenir la pétrification du tendre. Les peuples sont précipités dans l'abîme de leur propre faiblesse. Brecht parlait de la "résistible ascension" d'Hitler. Mais le peuple allemand était obsédé par sa défaite de 1918, l'injustice de sa crise financière, le chômage de 1929. Il a ainsi choisi un malheur bien plus grand, poudré de la gloire des premières heures, dont il connaissait parfaitement la perversité.
Nikita Khrouchtchev entama la déstalinisation en étranglant de ses propres mains son rival Béria, disciple de Staline et maître du KGB. Comment s'étonner qu'en guise de libéralisation, il ait envoyé ses chars tuer quinze mille insurgés à Budapest, et fait construire le mur de Berlin?
Un autre type de prévention s'impose: Gorbatchev a montré, au prix de sa carrière, que les murs pouvaient être abattus. Certes, il bénéficiait du pouvoir et de circonstances favorables. Mais il y a eu aussi Gandhi, Mandela. Il y a eu l'Inconnu de Tian'Anmen, il y a encore Aung San Suu Kyi, les rebelles de Téhéran, dont les résultats se font encore attendre, quoi qu'inéluctables.
Qu'ont en commun ces résistants? Ils n'ont pas triché. Ils ont consenti le sacrifice qui fonde les civilisations, leur propre sacrifice, pas celui d'innocents.
La vérité du vivant lézarde toujours le dur des tombeaux.
Je consacre ce blog aux symboles de la résistance à l'oppression, dont mon héros, l'Inconnu de Tian'Anmen, est emblématique. L'actualité est riche de situations où le courage s'exprime, souvent de façon anonyme, contre toutes les colonnes de chars, violences humaines ou naturelles. Ce 9 Novembre, souvenons nous de la disparition, en 1970, d'un autre "Inconnu de Tian'Anmen", celui qui a entamé un combat désespéré et atteint la victoire finale, Charles de Gaulle. C'est lui aussi qui a su tendre la main à l'ancien ennemi, contrairement aux vainqueurs de 1918, et fondé ainsi l'Europe sur le couple franco-allemand réconcilié.