Les grandes vacances sont rarement riches en actualité, mais propices à la lecture. Voila qui m'autorise une incidente dans l'observation des épigones de Tian'Anmen. D'autant que j'ai cru depuis l'enfance que le conte était plus propice à l'éclosion de la vérité que les analyses historiques.
Entre sept et douze ans, pour tromper l'ennui, j'ai tout dévoré, tout Jules Verne qui m'a contaminé, toute la bibliothèque verte, la bibliothèque pourpre, les premiers livres de poche...A l'école, pour me réveiller, il fallait la lecture à haute voix de Rouget le braconnier, ou la projection de diapos du Lotus bleu. Le passage à l'acte s'est annoncé le soir où mon père a transformé sous mes yeux ma rédaction en confettis. Mon frère ainé m'a alors pris sous son aile: " Une journée de vacances, voilà un sujet qui devrait te permettre de t'exprimer. Raconte une émotion que tu as vraiment vécue". C'était retrouver le conseil de Paul Léautaud: "Il faut écrire ce que l'on a vu, entendu, ressenti". J'ai écrit en pleurant la tristesse de Marie Mancini, exilée sur les murs de Brouage. Je les avais arpentés l'été précédent, trois siècles après la dernière visite désespérée de son royal amant, contraint par la raison d'état. La note fut à la hauteur du chagrin, et je découvris les vertus du roman de gare.
J'ai écrit de tout, les poèmes de la solitude adolescente, ceux de la joie d'aimer, si bien que je fus ainsi catalogué dans le trombinoscope de ma promo d'HEC: "Il cessa de taquiner la muse pour se livrer à l'eugénisme. Le poète demande: Que penses tu Amour? Je pense aux autres jours qui seront celui là." Au moment de choisir un métier qui fasse vivre le nouveau ménage, Publicis m'a paru le lieu où je pourrais écrire, et par le fait, j'ai rédigé d'innombrables mémos que personne ne lisait. Jusqu'à cette année pré-soixante-huitarde, quand, sans qu'on nous en informât vraiment, la Révolution Culturelle était enterrée en Chine. La lubie me prit de raconter l'histoire d'un homme qui marchait sur la tête. Après l'opération qui devait le remettre sur ses pieds, il commencait à rajeunir, jusqu'à retourner dans le giron de sa mère. Je proposai "Les Antipodes" au Seuil, et la réponse me dissuada de tenter d'autres éditeurs: "Je crois que pour l'avenir, il faudrait vous débrider, laisser libre cours à la (trop) haute idée que vous avez des livres. Un livre ne se construit pas comme un livre"...
Un peu plus tard, je créai ma propre Agence, et je fus comblé par la profusion de ses succés populaires, écrits à plusieurs mains: Bison Fûté, La chasse au gaspi,Il court il court le Sida, Nos emplettes sont nos emplois,Du Leerdammer ou je fais un malheur, La fraîche attitude...et tant d'autres, sans oublier son propre thème, la Stratégie barbare! Mais au fond, c'étaient oeuvres de commande. Ma folie des arts premiers me fournit l'occasion d'un essai, publié chez Autrement en 1999, "Le Masque et la Marque", une rencontre de mes deux jumeaux phonétiques. Un essai qui ressemblait plutôt à une enquête policière sur de modernes Abel et Caïn.
Disposant de plus de loisir avec une retraite tardive, je multipliai les voyages en Chine, phénix éternel qui m'avait toujours fascjné. Je découvris les anciens masques du culte chamanique de Nuo, disparu des mémoires avec les secousses de la révolution. J'en tirai un livre d'art "Le Masque de la Chine" (Ed. Actes Sud -2007) et l'expo dont j'étais commissaire au Musée Jacquemart-André. En voici la suite, avec ce roman "L'Inconnu de Tian'Anmen", qui dévoile les dessous magiques de l'Histoire contemporaine.
Pourquoi un premier roman? Je crois que j'ai voulu témoigner. Pour mes sept petits enfants, pour tous les enfant de l'UNICEF à qui il faut donner de l'engagement. "Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui meurt" dit on en Afrique. Comment transmettre? Un essai manque à émouvoir, la puissance du verbe manque à l'oeuvre d'art. Les paroles s'envolent. Reste la parabole. C'est ça un roman.
Témoigner sur ce que j'ai appris. Que souplesse et fidélité peuvent faire bon ménage. Qu'il y a plus de l'ange que du démon autour de nous. Et en nous-mêmes, si nous parvenons, par quelque secours magique, à l'ouverture des yeux, au survol de notre moi. Que comme disait Confucius, "le sage n'a pas d'idée" (pas d'enferment idéologique). Que l'Homme est capable, et pas plus coupable, du même aveuglement que la Nature, et que seules les valeurs peuvent desserrer les noeuds de la complexité. Et voilà encore des mots qui s'envolent. Il était urgent d'écrire un premier roman.